Un jour, un Dieu
Je n’ai pas tous les jours des merveilleuses
aventures à vous conter. Alors puisque l’inspiration me fait défaut, on va
faire dans la Qulture avec un grand Q.
Quand je n’aurais rien à vous dire, je vous
décrirais le panthéon de l'Inde. Et toc!
On va donc commencer dès tout de suite par le Boss.
Brahmâ est sorti d’un œuf. On est en droit de se demander qui est arrivé en premier. L’œuf ou Brahmâ. C’est curieux l’ovoviviparité chez les dieux hindous. En effet, Brahmâ n’est pas le seul, car à l’instar des bébés crevettes, les deux autres dieux de la Trimurti, Vishnou (la paix) et Shiva (l’dire à ma mère) font aussi partie de l’omelette cosmique.
On sait relativement peu de chose de son enfance. Les textes les plus anciens relatent brièvement son passage en internat au Lycée Notre Dame d’Espérance, rue du Bois Savary à Saint Nazaire où, bon
élève mais un peu dissipé quand même, comme en attestent quelques heures de colles
dans son carnet de correspondance, il prépare un bac littéraire. C'est de toute façon surtout sa carrière de chef d'entreprise qui a fait parler de lui.
Il est président et siège au conseil d’administration de sa petite entreprise familiale qui se nomme "le Soi
Suprême". Personnellement, je trouve que ça fait soit un peu mégalo, soit Père Dodu (suprême de volaille... gettit?).
Je sais que le taf n’est pas facile et que les responsabilités sont lourdes, mais il a
quand même un peu choppé le melon, quand on sait qu’il se
fait appeler par ses collègues l'incommensurable, le seigneur
de toutes les créatures, l'auteur des quatre livres du Veda, le nombril de Vishnu, le dieu ascète, le créateur
des quatre mondes, le bon créateur et surtout le dieu
créateur de l'hindouisme mais aussi la demeure du savoir, celui qui réside dans les eaux primordiales (Lovecraft n'a rien inventé), le seigneur du verbe,
le premier voyant, le dieu de l'ascèse, l'ordonnateur, celui qui façonne, le support, le maître du monde,
le souverain suprême, l'éternel, l'impulsion indivise. Au boulot, moi on m’appelle machin
ou hé toi là bas.
Donc... comme souvent chez les patrons, il a la grosse têtes. D’ailleurs c’est à ça qu’on le
reconnaît, puisque des têtes, il en a quatre. Souvenez vous bien de ça, j’en
reparlerai plus loin.
En temps que Big Chief, il arrive
généralement tard au bureau et n’intervient que de façon occasionnelle dans les
affaires des dieux, et encore plus rarement dans celles des hommes. Cela dit, il
c’est un peu normal, car il n’est plus tout jeune. Sa vie dure cent ans,
chacune de ces années valant 2 160 millions (ou 216 crores si vous
préférez) années des mortels comme nous. On notera au passage qu'il a une très jolie barbe.
Les mauvaises langues disent qu’il ne passe au head office que pour toucher ses jetons de présence. Ce n’est pas très sympa. A sa décharge, on peut dire qu’il a quand même bien bossé au
début. Encore plus fort que Stephen Hawking et sa
théorie des strings, (découverte sur la plage de Copacabana), Brahmâ sait tout de
l’univers puisque c’est lui qui l’a inventé, et ça, ce n'est pas donné à tout le monde.
Lecteur assidu du Kotler et Dubois, pour vendre à ses business angels et aux venture capitalists son concept de "monde", hyper novateur à une époque où il n'y avait encore rien, il sort son plus produit, la déesse Shatarûpa, celle
aux cent formes superbes. La première poule du
président de l'histoire de l'humanité en quelque sorte, avec qui selon la rumeur il aurait eu une aventure extra conjugale dans le local photocopieur, mais ce ne sont que des ragots. Elle était si belle que Brahmâ ne cessait de la
regarder. Où qu'elle allât (notez l’emploi audacieux de l’imparfait du subjonctif qui tombe trop
souvent en désuétude de nos jours), il se créait une tête pour pouvoir continuer à
la voir. Il s’était laissé pousser quatre têtes, une vers chaque point
cardinal, plus une cinquième au cas où elle passerait au dessus. Shiva, le DG de « Soi Suprême Inc. » jugea que c’était
tout à fait inconvenant, voir un poil incestueux (souvenez vous, Shatarûpa est la fille de Brahmâ puisqu'il la créée) et, de son troisième oeil, il réduit donc en cendre la cinquième
tête de Brahmâ. Et c'est ainsi que sur la photo de son passeport, il n’en n’a plus que quatre.
Privilège de son mandat, Brahmâ a une bagnole de
fonction. A sa place, j’aurais pris la nouvelle Audi A8 W12 quattro L avec la boite tiptronic en gris
volcan, mais lui a préféré un cygne blanc. Chacun son truc.
Question vie personnelle, Brahmâ est marié à Sarasvatî, la déesse de la connaissance et vit à Brahmapura, petit village située sur le mont Meru, colline mythique de 450 000 km de haut (65 597 km de plus que la distance terre-lune). Autant dire que ce n'est pas facile d'accès, et que ça explique peut-être le choix d'un cygne, plus pratique pour aller acheter le pain. Si on veut lui faire
coucou et jouer les thuriféraires, sa seule et unique permanence dans ce bas monde est à Pushkar au Rajasthan.
J’adore ce pays.